En bref
En 1925, le critique André Warnod crée l’expression«École de Paris» pour évoquer tous ces artistes, venus des quatre coins de l’Europe, formant les milieux cosmopolites de Montmartre et de Montparnasse. Il pense alors à Foujita, Chana Orloff, Ossip Zadkine, Marc Chagall, Moïse Kisling, Amedeo Modigliani, Constantin Brâncuși… des peintres et sculpteurs qui font les beaux jours du Salon des artistes indépendants. La notion d’école ne renvoie pas ici à un apprentissage en commun mais plutôt au partage d’un goût prononcé pour la liberté, un esprit parfois un peu canaille, un art figuratif en dehors des sentiers battus. Si l’on distingue deux générations dans l’École de Paris, la notion est généralement employée pour désigner la première, celle des artistes actifs avant la Grande Guerre et jusqu’à l’entre-deux-guerres.
Histoire du mouvement
Au début du XXesiècle, Paris est l’une des capitales les plus attractives du monde. Des millions de visiteurs se bousculent dans les expositions universelles. Les artistes, eux aussi, s’y pressent en grand nombre. Le climat est favorable: des Salons artistiques se créent pour accueillir les peintres d’avant-garde, de nombreuses académies permettent d’étudier devant le modèle vivant, souvent féminin (à la différence des écoles des beaux-arts). De plus, la France est devenue un bastion de l’art moderne grâce au rayonnement de l’impressionnisme.
Les artistes étrangers attirés par Parissont souvent d’origine modeste et viennent y trouver un vent de liberté. Ils émigrent majoritairement d’Europe de l’Est, d’Allemagne et de Russie. Mais pas uniquement. Amedeo Modigliani arrive d’Italie en 1906et se fixe à la Ruche, une cité d’artistes de Montparnasse. «Modi» incarne par exemple le profil de l’artiste de la bohème, tourmenté et visionnaire. Il se lie d’amitié avec d’autres artistes d’origine étrangère tels que Moïse Kisling et Chaïm Soutine. Modigliani, en épurant les lignes, cultive un nouveau classicisme mâtiné de primitivisme qui font de lui un novateur de l’époque, tout comme le sculpteur roumain Constatin Brâncuși.
Si la Grande Guerre a dispersé momentanément les artistes, ils se retrouvent dans le Paris de l’entre-deux-guerres qui attire de nombreux collectionneurs américains. Souvent désargentés, ces artistes trouveront là leur salut, à l’exemple de Chaïm Soutine, peintre expressionniste qui passe brutalement de la plus grande pauvreté à la prospérité grâce au soutien que lui prodigue le docteur Barnes, à l’origine d’une grande collection d’art moderne à Philadelphie.
Certaines personnalités appartiennent à l’École de Paris, tout en lui échappant. C’est le cas de Pablo Picasso, qui a quitté Barcelone pour s’établir à Montmartre en 1904. Avant de devenir le monstre sacré de l’art moderne, il vit modestement au Bateau-Lavoir, au sein d’une communauté d’artistes. C’est là que s’invente le cubisme, et que Picasso fait naître Les Demoiselles d’Avignon. La rupture que Picasso consomme avec le réalisme le coupe, en quelque sorte, de l’École de Paris. Les artistes qui la composent restent marqués par la fidélité à une certaine forme de réalisme, qu’il soit onirique ou expressionnisme. Le Japonais Foujita, le Néerlandais Kees van Dongen ou le Polonais Moïse Kisling en offrent de bons exemples, au travers de leur nus sensuels.
Ces artistes du nu, assez présents au sein de l’École de Paris, ont élu quelques modèles favoris dont la plus célèbre fut Kiki de Montparnasse. Grâce à eux, elle est devenue l’un des mythes de l’érotisme parisien. Elle mène une vie très libre. Son regard mutin, sa coupe à la garçonne lui assurent un grand succès au Dôme, à la Rotonde ou au Jockey, ces endroits à la mode dans le quartier de Montparnasse, lieux de rendez-vous de l’École de Paris.
Des œuvres majeures
Léonard Foujita, Nu à la toile de Jouy, 1922
Est-ce Kiki? La toile de Foujita, figure du quartier de Montparnasse dont il participe à écrire les heures chaudes, est audacieuse. Si l’artiste s’est inspiré de Manet et de Titien, il livre une interprétation personnelle du nu féminin. Impassible telle une sculpture classique, la figure est d’une blancheur étonnante. Les cheveux noirs de jais, les poils sous les bras et de la toison pubienne se détachent sur ce corps presque monochrome. L’artiste revisite librement l’univers de l’érotisme japonais. En introduisant une référence à la toile de Jouy (si bien nommée ici!), l’artiste se montre facétieux.
Kees van Dongen, Nu au châle (ou le châle espagnol), 1913
En 1913, Kees van Dongen déclencha une vive polémique au Salon d’Automne avec ce grand nu jugé indécent. Le peintre représente son modèle, dévoilant son corps nu et sa toison pubienne fournie, dans un châle à fleurs. Ses bas jaunes l’affilient au monde de la prostitution. Personnalité unique et originale au sein de l’École de Paris, Van Dongen se singularise par sa patte fauve. Ses portraits ont toujours rencontré de grands succès. Hollandais d’origine, il fut naturalisé en 1929.
Marc Chagall, Moi et mon village, 1911
Peint à la Ruche à la suite de son arrivée à Paris, ce tableau de Marc Chagall évoque son pays d’origine. Russe et de confession juive, le peintre développe un art figuratif et onirique imprégné de symboles venus de sa double culture. L’artiste est un nostalgique. Obligé de retourner en Russie pendant la Grande Guerre, il revient à Paris en 1922. C’est alors qu’il trouve le soutien du marchand Ambroise Vollard. Chagall est naturalisé français en 1937.